RAPHAEL AHREN
L’annonce-surprise faite jeudi sur la décision prise par le Maroc de rétablir ses relations diplomatiques avec Israël n’a pas été un miracle de Hanoukka comme de nombreux politiciens israéliens ont pu le penser quand ils ont allumé les bougies de la fête – même si le moment choisi a été, en effet, brillamment approprié. En réalité, le Maroc a mis du temps à prendre cette décision. Le royaume d’Afrique du Nord entretient des liens culturels et religieux profonds avec l’État juif et – il faut le dire – le monde attendait depuis longtemps qu’il rejoigne la vague actuelle de pays arabes qui ont pris l’initiative d’apaiser et d’officialiser leurs relations avec l’État juif.
Contrairement à l’Egypte et à la Jordanie, qui ont signé des traités de paix avec Israël il y a des décennies, et contrastant avec les Émirats arabes unis, Bahreïn et le Soudan, qui ont normalisé leurs liens avec l’État juif cette année, le Maroc et Israël partagent une connexion profonde et antique autour du judaïsme et la communauté juive marocaine, même si elle est modeste, connait encore aujourd’hui un certain épanouissement.
Les origines de la communauté juive du Maroc remontent à il y a 2 000 ans – avec la destruction du Second Temple et l’exil qui a suivi. La communauté a atteint son âge d’or au début des années 1940 avec 250 000 membres, quand le sultan Mohammed V a résisté aux pressions exercées par les nazis qui réclamaient leur déportation. Ces chiffres ont chuté lors de la création de l’État d’Israël et il ne reste aujourd’hui que 2 000 à 3 000 Juifs dans le pays, mais des centaines de milliers d’Israéliens conservent la fierté de leurs origines marocaines. Jared Kushner, l’envoyé du président Trump, a établi jeudi qu’ils étaient « plus d’un million ».
La fête de la Mimouna, que la communauté célèbre traditionnellement après Pessah, est devenue incontournable dans le calendrier culturel israélien, et les politiciens font acte de présence dans les nombreuses fêtes organisées à cette occasion, dégustant des mufletas et autres spécialités marocaines.
Si les touristes israéliens n’ont commencé à découvrir que très récemment le Golfe, ils affluent à Rabat, Marrakech, Casablanca, Tanger et Fès via des pays-tiers depuis des années. Une fois les nouvelles relations diplomatiques mises en place entre les deux pays et l’instauration de vols directs, ces chiffres devraient connaître une augmentation « spectaculaire ».
Après les accords d’Oslo en 1995, le Maroc et Israël avaient ouvert des « bureaux de liaison » respectifs. Ils avaient été fermés quelques années plus tard après le début de la Seconde intifada palestinienne, en l’an 2000.
Mais le roi marocain Mohammed VI et le Premier ministre Benjamin Netanyahu ont tous les deux évoqué les liens profonds et de longue date qui unissent le Maroc et Israël dans leurs communiqués respectifs sur l’accord historique.
« Tout le monde sait quelle est la forte amitié qui est témoignée par les rois et le peuple du Maroc à l’égard de la communauté juive, là-bas. Et des centaines de milliers de ces Juifs marocains sont venus en Israël et ont formé un pont humain entre nos deux pays et entre nos deux peuples, un pont de sympathie, de respect, d’affection et d’amour », a déclaré Netanyahu lors d’une cérémonie organisée au mur Occidental à l’occasion de Hanoukka.
« Le Maroc a joué un rôle historique pour rassembler la région et soutenir la sécurité et la stabilité au Moyen-Orient… Il y a des liens particuliers qui unissent la communauté juive d’origine marocaine, et notamment celle d’Israël, à la personne de sa majesté le Roi », a noté un communiqué émis par la Cour royale du Maroc.
Et pourtant, le roi n’a pas subitement décidé que son amour pour les Juifs nécessitait qu’il reconnaisse l’État d’Israël sans perdre davantage de temps. C’est un accord négocié par les États-Unis qui l’a amené à faire le grand plongeon.
Trump a annoncé, dans un tweet qui a été suivi par une déclaration officielle, que Washington reconnaissait dorénavant la souveraineté marocaine sur tout le territoire du Sahara occidental et réaffirmait « son soutien à une proposition d’autonomie sérieuse, crédible et réaliste du Maroc, comme base exclusive d’une solution juste et durable au conflit portant sur le Sahara occidental
Les Émirats arabes unis avaient obtenu l’engagement d’Israël de ne pas mener à bien une initiative d’annexion unilatérale de la Cisjordanie, et ils semblent avoir sécurisé également l’acquisition d’avions-chasseurs de type F-35 très convoités (même si l’accord n’a pas encore été finalisé). Le Soudan a de son côté été effacé de la liste noire américaine des pays qui soutiennent le terrorisme, et il a eu la promesse d’une aide massive. Et le Maroc, pour sa part, a gagné la reconnaissance officielle de sa souveraineté sur le territoire – revendiqué par le groupe du Polisario, soutenu par l’Algérie, qui tente d’établir un État indépendant dans la région – par un premier pays occidental incontournable.
Certains pays, comme la France et quelques membres de la Ligue arabe, soutiennent depuis longtemps la revendication par Rabat du Sahara occidental. Mais jusqu’à présent, aucun pays n’avait formellement reconnu la souveraineté du royaume sur la zone toute entière. (Les Émirats arabes unis ont, pour leur part, ouvert un consulat-général accrédité au Maroc à Laayoune, une ville du Sahara occidental – une initiative que certains analystes ont considéré comme une reconnaissance de facto.)
À l’évidence, le roi Mohammed VI s’est dit que le président-élu américain Joe Biden n’accepterait probablement pas de prendre une telle initiative, et il a choisi de profiter des 40 derniers jours de Trump à la Maison Blanche.
Netanyahu a prédit, jeudi, une « paix très chaleureuse » avec le Maroc – mais seulement le temps nous dira si les 35 millions de citoyens du Maroc, qui sont pratiquement tous musulmans, accueilleront l’accord avec le même plaisir que cela avait été le cas des Émiratis ou des Bahreïnis.
Selon un sondage récent, seuls 16 % des Marocains ont un point de vue favorable sur Israël, tandis que 70 % disent avoir un avis défavorable de l’État juif. Contrastant avec ce résultat, les trois-quarts des personnes interrogées ont dit nourrir des sentiments positifs à l’égard des Palestiniens.
Cette enquête a été menée par l’institut de sondages Mitchell Barak, dont le siège est à Jérusalem, pour le compte de la fondation Konrad Adenauer. Elle a également établi que seulement 17 % des Marocains soutenaient les Accords d’Abraham conclus par l’État juif avec les Émirats arabes unis et Bahreïn, et que les deux-tiers s’y opposaient. Et seulement 26 % des personnes interrogées ont indiqué qu’Israël avait un droit à exister, selon le sondage.
Jeudi soir, dans un appel téléphonique avec Mahmoud Abbas, le président de l’Autorité palestinienne, le roi Mohammed a réaffirmé son soutien fervent à la solution à deux États et a souligné que son engagement était « immuablement favorable à la cause palestinienne ».
Le souverain devrait prendre part à un entretien téléphonique avec Netanyahu et Trump très
prochainement, mais il faut cependant noter qu’il aura jugé nécessaire de s’entretenir avant tout avec le leader palestinien.
Dans son appel avec Abbas, le roi a aussi évoqué des « relations remarquables avec la communauté juive d’origine marocaine et notamment avec les centaines de milliers de Juifs marocains qui vivent en Israël », selon un compte-rendu qui a été fourni par la Cour royale.
Et un grand nombre, parmi ces derniers, pourrait bien être d’ores et déjà en train de programmer leurs prochaines vacances, espérant ainsi découvrir l’endroit où leurs parents et grands-parents ont vécu.
المصدرThe Times of Israël